L'Individu face à l'Etat 1/2

Publié le par Art de Vivre Juste

Le Devoir de Désobéir



Face à l'Être humain individuel il y a l'Etat.
Le mot "Etat" évoque un Absolu quasi divin. "L'Etat, c'est moi", disait le Roi-Soleil, Louis XIV.
L'Etat devrait, en effet, être la représentation sur Terre de l'Être Absolu. Car l'Etat découle de l'Être mais n'est pas l'Être ("Etat" est seulement en relation directe avec le participe présent "Etant" et non avec l'infinitif "Être").

Mais, en réalité, cela ne peut exister que dans le cas d'un Etat Théocratique. En dehors de cela, dans les actuels systèmes de gouvernement dits "démocratiques" (même lorsqu'ils sont encore aussi dits "monarchiques") l'Etat ne représente, aujourd'hui, généralement, que la collectivité face à l'Individu. L'Etat trouve alors, en principe, sa justification dans l'existence de la collectivité (composée des autres individus) se garantissant face à l'Individu et en particulier des individus possiblement malveillants.

Si l'Etat est fort - ce qui est souvent le cas! -, l'Être humain individuel, même totalement paisible et non-violent, peut alors s'en trouver écrasé et même broyé. C'est la raison pour laquelle beaucoup d'êtres humains individuels - presque tous - s'efforcent de composer avec l'Etat. Ceux qui ne le font pas s'exposent, bien souvent, à de dures représailles.

Pourtant, sur Terre, - les mots eux-mêmes l'indiquent - l'Être (même simplement humain) est supérieur à l'Etat, car l'Etat ne résulte lui-même que de la conscience d'un être-ensemble, sur un territoire déterminé, de nombreux Êtres visant à une façon d'Être-Ensemble qui soit policée. Le mot "policé" signifie simplement ici non la "police" au sens courant mais la vie dans la Polis c'est-à-dire dans la Cité. C'est cela la Politique: la vie dans la Cité. Quant à la conscience de l'être-ensemble elle n'est pas la Conscience elle-même, car le cœur d'une telle Conscience ne peut, en fait, résider que dans l'Individu.

De façon générale, même dans les états dits "démocratiques", en une quasi-mutilation psychique, dès sa naissance, le nouveau-né se trouve happé par les rouages d'un puissant Etat. Sans lui demander son avis, il est inscrit à l'Etat-Civil, souvent vacciné, et dès son plus jeune âge, envoyé dans un système scolaire largement contrôlé par l'Etat, où sévit, le plus souvent, à défaut de réelle formation, un redoutable formatage institutionnel, où, par une instruction quasi-exclusivement intellectuelle, excluant la réflexion morale - laquelle est d'essence spirituelle - on le conditionne à docilement accepter les diverses futures exigences de l'Etat sur lui, dont la moindre n'est pas l'impôt, dont le nom lui-même indique clairement lui-même le caractère arbitrairement imposé. D'autres sont le recensement, le service militaire obligatoire, l'assujettissement à des dizaines de milliers de règlements complexes, etc.

Ce qui est grave c'est lorsque la forte pression - largement inconsciente chez de nombreux êtres humains - exercée par l'Etat sur l'Individu tient lieu de conscience à cet Individu, laquelle ne peut pourtant être qu'individuelle. Lorsque la pression étatique existe déjà sur l'enfant avant même qu'il ne soit devenu l'adolescent en train de prendre conscience du monde qui l'entoure, alors il se trouve comme dans un sac ligoté à son sommet, avant même d'avoir pu sortir sa tête du dit sac pour regarder comment c'est réellement à l'extérieur!

Dans ces conditions, que reste-t-il à l'Individu, que reste-t-il de l'Individu? C'est tout le mérite de Henry David Thoreau d'avoir non seulement soulevé ces graves questions mais de s'être efforcé de clairement et courageusement prendre position et même au prix de la prison. L'on peut en juger en prenant connaissance, au moins en partie, de son célèbre écrit ayant notamment inspiré le grand écrivain russe Léon Tolstoï ainsi que le célèbre homme d'état, apôtre de la non-violence active, le Mahâtma (= la grande âme) Gandhi:



LA DÉSOBÉISSANCE CIVILE

Henry David Thoreau

- Extraits 1/2 -

 

De grand cœur, j’accepte la devise: «Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins».

Le gouvernement le meilleur est celui qui ne gouverne pas du tout et lorsque les hommes y seront préparés, ce sera le genre de gouvernement qu’ils auront.

Tout gouvernement n’est au mieux qu’une «utilité» mais la plupart des gouvernements, d’habitude, et tous les gouvernements, parfois, ne se montrent guère utiles.

Le gouvernement est une «utilité» grâce à laquelle les hommes voudraient bien arriver à vivre chacun à sa guise, et, comme on l’a dit, plus il est utile, plus il laisse chacun des gouvernés vivre à sa guise.

Le commerce et les affaires s’ils n’avaient pas de ressort propre, n’arriveraient jamais à rebondir par-dessus les embûches que les législateurs leur suscitent perpétuellement et, s’il fallait juger ces derniers en bloc sur les conséquences de leurs actes, et non sur leurs intentions, ils mériteraient d’être classés et punis au rang des malfaiteurs qui sèment des obstacles sur les voies ferrées.

Pour parler en homme pratique et en citoyen, au contraire de ceux qui se disent anarchistes, je ne demande pas d’emblée «point de gouvernement», mais d’emblée un meilleur gouvernement.

Que chacun fasse connaître le genre de gouvernement qui commande son respect et ce sera le premier pas pour l’obtenir.

La raison pratique pour laquelle, le pouvoir une fois aux mains du peuple, l’on permet à une majorité de régner continûment sur une longue période ne tient pas tant aux chances qu’elle a d’être dans le vrai, ni à l’apparence de justice offerte à la minorité, qu’à la prééminence de sa force physique.

Un gouvernement, où la majorité règne dans tous les cas, ne peut être fondé sur la justice, même telle que les hommes l’entendent.

Ne peut-il exister de gouvernement où ce ne seraient pas les majorités qui trancheraient du Bien ou du mal, mais la conscience?

Le citoyen doit-il jamais, un seul instant, abdiquer sa conscience au législateur? Alors, à quoi bon la conscience individuelle?

Je crois que nous devrions d’abord être des hommes  et ensuite des sujets.

Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le Bien.

La seule obligation qui m’incombe est de faire Bien.

Un groupement d’hommes n’a pas de conscience, mais un groupement d’hommes consciencieux devient un groupement doué de conscience.

La loi n’a jamais rendu les hommes un brin plus justes, et par l’effet du respect qu’ils lui témoignent les gens les mieux intentionnés se font, chaque jour, les commis de l’injustice.

Le résultat courant et naturel d’un respect indû pour la loi, c’est que l’on peut voir une file de militaires, colonel, capitaine, caporal et simples soldats, enfants de troupe et toute la clique, marchant au combat par monts et par vaux dans un ordre admirable contre leur gré, - que dis-je? - contre leur bon sens et contre leur conscience.

La masse des hommes sert l’État, non point en humains, mais en machines avec leur corps.

C’est eux l’armée permanente, et la milice, les geôliers, les gendarmes, la force publique, etc. La plupart du temps sans exercer du tout leur libre jugement ou leur sens moral; au contraire, il se ravalent au niveau du bois, de la terre et des pierres et l’on doit pouvoir fabriquer de ces automates qui rendront le même service. Ceux-là ne commandent pas plus le respect qu’un bonhomme de paille ou une motte de terre. Ils ont la même valeur marchande que des chevaux et des chiens. Et pourtant on les tient généralement pour de bons citoyens. D’autres, comme la plupart des législateurs, des politiciens, des juristes, des ministres et des fonctionnaires, servent surtout l’État avec leur intellect et, comme ils font rarement de distinctions morales, il arrive que sans le vouloir, ils servent le Démon aussi bien que Dieu.

Une élite, les héros, les patriotes, les martyrs, les réformateurs au sens noble du terme, et des hommes, mettent aussi leur conscience au service de l’État et en viennent forcément, pour la plupart à lui résister.

Ils sont couramment traités par lui en ennemis. Un sage ne servira qu’en sa qualité d’homme et ne se laissera pas réduire à être «la glaise» qui «bouche le trou par où soufflait le vent»; il laisse ce rôle, pour le moins, à ses cendres.

Je suis de trop haut lieu pour me laisser approprier, pour être un subalterne sous contrôle, le valet et l’instrument commode d’aucun État souverain de par le monde.

Celui qui se voue corps et âme à ses semblables passe à leurs yeux pour un bon à rien, un égoïste, mais celui qui ne leur voue qu’une parcelle de lui-même est salué des titres de bienfaiteur et philanthrope.

Quelle attitude doit adopter aujourd’hui un homme face au gouvernement américain? Je répondrai qu’il ne peut sans déchoir s’y associer. Pas un instant, je ne saurais reconnaître pour mon gouvernement cette organisation politique qui est aussi le gouvernement de l’esclave.

Tous les hommes reconnaissent le droit à la révolution, c’est-à-dire le droit de refuser fidélité et allégeance au gouvernement et le droit de lui résister quand sa tyrannie ou son incapacité sont notoires et intolérables.

Quand la friction en arrive à avoir sa machine et que l’oppression et le vol sont organisés, alors je dis «débarrassons-nous de cette machine».

Lorsqu’un sixième de la population d’une nation qui se prétend le hâvre de la liberté est composé d’esclaves, et que tout un pays est injustement envahi et conquis par une armée étrangère et soumis à la loi martiale, je pense qu’il n’est pas trop tôt pour les honnêtes gens de se soulever et de passer à la révolte. Ce devoir est d’autant plus impérieux si ce n’est pas notre pays qui est envahi, mais que c’est nous l’envahisseur.

«Aussi longtemps que l’intérêt de toute la société l’exige, c’est-à-dire tant que l’on ne peut résister au gouvernement établi ou le changer sans troubler l’ordre public, la Volonté de Dieu est d’obéir au gouvernement établi.»

Si j’ai injustement arraché une planche à l’homme qui se noie, je dois la lui rendre au risque de me noyer (…) Celui qui, dans un tel cas, voudrait sauver sa vie, la perdrait.

Je ne cherche pas querelle à des ennemis lointains mais à ceux qui, tout près de moi, collaborent avec ces ennemis lointains et leur sont soumis: privés d’aide, ces gens-là seraient inoffensifs.

(…) Le progrès est lent, parce que l’élite n’est, matériellement, ni plus avisée ni meilleure que la masse.

Le plus important n’est pas que vous soyez au nombre des bonnes gens mais qu’il existe, quelque part, une bonté absolue, car cela fera lever toute la pâte.

Il y a des milliers de gens qui, par principe, s’opposent à l’esclavage et à la guerre mais qui, en pratique, ne font rien pour y mettre un terme.

Quel est le cours d’un honnête homme et d’un patriote aujourd’hui? L’on tergiverse, l’on déplore et quelquefois l’on pétitionne, mais l’on n’entreprend rien de sérieux ni d’effectif. L’on attend, avec bienveillance, que d’autres remédient au mal, afin de n’avoir plus à le déplorer. Tout au plus, offre-t-on un vote bon marché, un maigre encouragement, un «Dieu vous assiste» à la justice quand elle passe.

Il y a 999 défenseurs de la vertu pour un seul homme vertueux. Mais il est plus facile de traiter avec le légitime possesseur d’une chose qu’avec son gardien provisoire.

Tout vote est une sorte de jeu, comme les échecs ou le trictrac, avec, en plus, une légère nuance morale où le bien et le mal sont l’enjeu; les problèmes moraux et les paris, naturellement l’accompagnent.

Même voter pour ce qui est juste, ce n’est rien faire pour la Justice. Cela revient à mollement exprimer votre désir qu’elle l’emporte.

Un sage n’abandonne pas la justice aux caprices du hasard; il ne souhaite pas non plus qu’elle l’emporte par le pouvoir d’une majorité.

Il y a bien peu de vertu dans l’action des masses humaines.

Lorsque, à la longue, la majorité votera pour l’abolition de l’esclavage, ce sera soit par indifférence à l’égard de l’esclavage, soit pour la raison qu’il ne restera plus d’esclavage à abolir par le vote. Ce seront eux, alors, les véritables esclaves.

Seul peut hâter l’abolition de l’esclavage, celui qui, par son vote, affirme sa propre liberté.

Oh! Que ne puis-je trouver un homme, un vrai, comme dit l’autre, pas une chiffe que l’on retourne comme un gant!

L’Américain s’est réduit à n’être qu’un «membre affilié» — type reconnaissable à l’hypertrophie de son sens grégaire et à un manque manifeste d’intellect et d’allègre confiance en soi — dont le premier et le principal souci en venant au monde est de veiller à l’entretien des Hospices et — avant même d’avoir endossé comme il se doit la Toge virile — de s’en aller ouvrir une souscription pour le soutien des veuves et des orphelins éventuels; qui, en un mot, ne s’aventure à vivre que soutenu par sa Compagnie d’Assurances Mutuelles, en échange de la promesse d’un bel enterrement.

Ce n’est une obligation pour personne, bien sûr, de se vouer à l’extirpation de tel ou tel mal, aussi criant et injuste soit-il; l’on peut très bien se consacrer à d’autres poursuites; mais qu’au moins l’on ne s’en lave pas les mains: ne pas accorder à ce mal d’attention soutenue ne veut pas dire qu’il faille lui accorder un appui de fait.

Si je me livre à d’autres activités, à d’autres projets, il me faudrait au moins veiller d’abord à ne pas les poursuivre juché sur les épaules d’autrui. Je dois d’abord en descendre pour permettre à mon prochain de poursuivre, lui aussi, ses projets.

Sous le nom d’Ordre et de Gouvernement Civique, nous sommes tous amenés à rendre hommage et allégeance à notre propre médiocrité. L’on rougit d’abord de son crime et puis l’on s’y habitue; et le voilà qui d’immoral devient amoral et non sans usage dans la vie que nous nous sommes fabriquée.

L’erreur la plus vaste et la plus répandue exige, pour la soutenir, la vertu la plus désintéressée.

Le léger reproche auquel se prête d’habitude la vertu de patriotisme, ce sont les âmes nobles qui sont les plus susceptibles de l’encourir.

Les gens qui, tout en désapprouvant le caractère et les mesures d’un gouvernement, lui concèdent leur obéissance et leur appui sont sans conteste ses partisans les plus zélés et, par là, fréquemment, l’obstacle le plus sérieux aux réformes.

Comment peut-on se contenter d’avoir tout bonnement une opinion et se complaire à ça?

Quel plaisir peut-on trouver à entretenir l’opinion que l’on est opprimé?

Si votre voisin vous refait, ne serait-ce que d’un dollar, vous ne vous bornez pas à constater, à proclamer qu’il vous a roulé, ni même à faire une pétition pour qu’il vous restitue votre dû; vous prenez sur-le champ des mesures énergiques pour rentrer dans votre argent et vous assurer contre toute nouvelle fraude.

L’action fondée sur un principe, la perception et l’accomplissement de ce qui est juste, voilà qui change la face des choses et des relations; elle est révolutionnaire par essence, elle n’a aucun précédent véritable.

Il existe des lois injustes: consentirons-nous à leur obéir? Tenterons-nous de les amender en leur obéissant jusqu’à ce que nous soyons arrivés à nos fins — ou les transgresserons-nous tout de suite?

En général, les hommes, sous un gouvernement comme le nôtre, croient de leur devoir d’attendre que la majorité se soit rendue à leurs raisons. Ils croient que s’ils résistaient, le remède serait pire que le mal; mais si le remède se révèle pire que le mal, c’est bien la faute du gouvernement. C’est lui le responsable.

Pourquoi n’est-il pas plus disposé à prévoir et à accomplir des réformes? Pourquoi n’a-t-il pas d’égards pour sa minorité éclairée? Pourquoi pousse-t-il les hauts cris et se défend-il avant qu’on le touche?

Pourquoi n’encourage-t-il pas les citoyens à rester en alerte pour lui signaler ses erreurs et améliorer ses propres décisions? Pourquoi crucifie-t-il toujours le Christ? Pourquoi excommunie-t-il Copernic et Luther et dénonce-t-il Washington et Franklin comme rebelles?

L’on dirait que le refus délibéré et effectif de son autorité est le seul crime que le gouvernement n’ait jamais envisagé, sinon pourquoi n’a-t-il pas mis au point de châtiment défini, convenable et approprié?

Si un homme qui ne possède rien refuse, ne serait-ce qu’une fois, de gagner un dollar au profit de l’État, on le jette en prison pour une durée qu’aucune loi, à ma connaissance, ne définit et qui est laissée à la discrétion de ceux qui l’y ont envoyé; mais vole-t-il mille fois un dollar à l’État qu’on le relâche aussitôt.

Si l’injustice a un ressort, une poulie, une corde ou une manivelle qui lui est spécialement dévolue, il est peut-être grand temps de se demander si le remède n’est pas pire que le mal ; mais si, de par sa nature, cette machine veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi.

Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine.

Il faut que je veille, en tout cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne.

Quant à recourir aux moyens que l’État a prévus pour remédier au mal, ces moyens-là, je n’en veux rien savoir. Ils prennent trop de temps et la vie d’un homme n’y suffirait pas. J’ai autre chose à faire.

Si je suis venu au monde, ce n’est pour le transformer en un lieu où il fasse bon vivre, mais pour y vivre, qu’il soit bon ou mauvais.

Un homme n’a pas tout à faire mais quelque chose, et qu’il n’ait pas la possibilité de tout faire ne signifie pas qu’il doive faire quelque chose de mal.

Je n’hésite pas à le dire: ceux qui se disent abolitionnistes devraient, sur-le-champ, retirer tout de bon leur appui, tant dans leur personne que dans leurs biens, au gouvernement (…).

S’ils [les êtres humains] écoutent la Voix de Dieu ils n’ont nul besoin, me semble-t-il, de compter sur une autre voix.

Tout homme qui a raison contre les autres, constitue déjà une majorité d’une voix.

Le gouvernement (…) ou son représentant (…), je le rencontre directement, et face à face, une fois l’an — pas plus — en la personne de son percepteur; c’est la seule forme sous laquelle un homme dans ma condition rencontre forcément l’État qui me dit alors clairement: «Reconnais-moi.» Alors, dans ce cas, la manière la plus simple, la plus efficace et, dans la conjoncture actuelle, la manière la plus urgente de traiter avec lui de la question, et d’exprimer la maigre satisfaction et tendresse qu’il nous inspire, c’est de le désavouer sur l’heure.

Je suis convaincu que si un millier, si une centaine, si une dizaine d’hommes - que je pourrais nommer —, si seulement dix honnêtes gens — que dis-je? -, si un seul honnête homme cessait, dans notre État (…), de garder des esclaves, venait vraiment à se retirer de cette confrérie, quitte à se faire jeter dans la prison du Comté, cela signifierait l’abolition de l’esclavage (…).

Peu importe qu’un début soit modeste: ce qui est bien fait au départ est fait pour toujours.

Sous un gouvernement qui emprisonne quiconque injustement, la véritable place d’un homme juste est aussi en prison.

La place qui convient aujourd’hui, la seule place que le gouvernement ait prévue pour ses esprits les plus libres et les moins abattus, c’est la prison d’État.

C’est [la prison], au sein d’un État esclavagiste, le seul domicile où un homme libre puisse trouver un gîte honorable.

S’il y en a pour penser que leur influence y perdrait [à se trouver en prison] et que leur voix ne blesserait plus l’oreille de l’État, qu’ils n’apparaîtraient plus comme l’ennemi menaçant ses murailles, ceux-là ignorent de combien la vérité est plus forte que l’erreur, de combien plus d’éloquence et d’efficacité est doué dans sa lutte contre l’injustice l’homme qui l’a éprouvée un peu dans sa personne même.

Donnez tout votre vote, pas seulement un bout de papier, mais toute votre influence.

Une minorité ne peut rien tant qu’elle se conforme à la majorité ; ce n’est même pas alors une minorité. Mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids.

S’il n’est d’autre alternative que celle-ci: garder tous les justes en prison ou bien abandonner la guerre et l’esclavage, l’État n’hésitera pas à choisir.

Si un millier d’hommes devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les régler, et à permettre ainsi  l’État de commettre des violences et de verser le sang innocent. Cela définit, en fait, une révolution pacifique, dans la mesure où pareille chose est possible.

Si le percepteur ou quelque autre fonctionnaire me demande, comme ce fut le cas: «Mais que dois-je faire?», je lui réponds: «Si vous voulez vraiment faire quelque chose, démissionnez!»

Quand le sujet a refusé obéissance et que le fonctionnaire démissionne, alors la révolution est accomplie. Même à supposer que le sang coule.

N’y a-t-il pas effusion de sang quand la conscience est blessée? Par une telle blessure s’écoulent la dignité et l’immortalité véritable de la personne humaine qui meurt, vidée de son sang pour l’éternité. Je vois ce sang-là couler aujourd’hui.

Suite 2/2 des Extraits de

"La Désobéissance civile"

de Henry David Thoreau

Publié dans L'Art de Vivre Juste

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